Chapitre 3-
Le temps des vendanges
Alphonse passait en revu les personnages de sa famille et ses amis. Lorsqu'il s'éveilla il pensa à Théodore.
« Théodore - nom prédestiné- puisque : Théo=Dieu. Et, en effet, c'était l'ami de Dieu, parce que très pieux et pratiquant. Jeune, il avait été mis en apprentissage chez un quincaillier. Puis, il voyagea et alla travailler à Paris. C'est là qu'il fit la connaissance de sa femme. Une fois mariés, les époux acquirent un commerce de quincaillerie, à l'Isle Adam sur Loire, dans la banlieue parisienne.
Je les connus peu, n'ayant eu l'occasion de les voir que deux ou trois fois, lorsque venant au pays, ils faisaient une visite à mes parents, qu'ils tenaient en grande considération.
Car, ils étaient venus, pendant le siège de Paris, en 1870/71 se réfugier, à Chaumussay, chez mes grands-parents, aussi avaient-ils conservé pour mon père et ma mère, une vive et affectueuse reconnaissance, qui se manifestait par des lettres assez fréquentes et par des cadeaux à chacun de leurs voyages en Touraine.
Ils n'eurent qu'un fils : Pierre. Je connus celui-ci lorsqu'il vint, vers l'âge de 17 à 18 ans, passer ses grandes vacances chez mes parents. J'avais environ 10 ans de moins que Pierre. Ce dernier était un grand garçon, blond, de visage agréable ; mais ce n'était qu'un grand gosse, affectueux, gentil, effroyablement gamin.
Pour lui aider à passer ses loisirs, à goûter les charmes de la campagne et aussi, pour lui permettre de tuer le temps, (car il ne tua jamais rien d'autre, son père lui avait offert un permis de chasse et l'avait doté d'un fusil et de l'équipement ad hoc).
Chaque matin, consciencieusement flanqué de son carnier et ceinturé de sa cartouchière, Pierre partait explorer les alentours, en quête de gibier.
Pan ! Pan ! Pan ! L'on entendait que lui.
Il laissait parler la poudre et même les gens, qui s'effaraient de ses allures belliqueuses, beaucoup plus que de ses exploits cynégétiques. Car s'il n'y avait eu que notre chasseur pour détruire le gibier nuisible, celui-ci aurait pu continuer ses destructions dans la campagne. Or, nous étions à l'époque des vendanges.
En plus de ses vignes, mon père était chargé de vendanger celle de Jérémie, située à 3 kilomètres de Chaumussay sur la route de Barrou.
Un matin de fin septembre, nous y partîmes, mes parents, Pierre, le chasseur impénitent, Théodule, un voisin, qui prêtait son âne et sa carriole, la cousine Noémie, mon frère et moi.
Tout alla bien pendant 2 ou 3 heures. La vendange battait son plein ; le temps était radieux. Mais Pierre ne pouvait tenir en place. Il vient prendre les deux gosses que nous étions et nous aida à grimper dans un sorbier de grande taille, qui bordait la vigne. L'arbre était tellement touffu que nous disparaissions dans la verdure.
Puis, s'éloignant à bonne distance, Pierre ne trouva rien de mieux à faire que de tirer des coups de fusil sur les oiseaux qui pépiaient au sommet du sorbier.
Affolée, ma mère s'élança sur le chasseur imprudent et le tança vertement. Mais, lui riait et son hilarité était tellement contagieuse qu'elle désarma tous les spectateurs de cette scène.
La cueillette du raisin achevée et celui-ci, convenablement pilé dans les barriques, on chargea la charrette : tonneaux, basses, paniers, tout fut entassé dedans et les deux enfants mon frère et moi, se casèrent en avant de tout ce matériel.
La route était en forte déclivité pendant un bon kilomètre. Ne soupçonnant pas le danger, mon frère, à l'aide d'un bâton pointu, se mit à piquer le derrière du roussin, qui partit au galop dans la descente, ce pendant que dans notre dos, tout le chargement brinqueballait et tanguait dangereusement.
Affolement des assistants Théodule et Pierre, les deux plus jeunes se lancèrent à la poursuite de la carriole emballée.
Nous les gosses, étions ravis. C'était très amusant et ça bardait !
Au plus fort de la course, Théodule, par suite d'un faux pas, se fit une entorse. En voilà un d'éliminé ! Pierre continuait, mais son fusil et son carnier, l'embarrassaient et nous gagnions du terrain.
C'était passionnant !
Ce qui explique pourquoi, sa femme, Estelle, se tenait toujours à la boucherie pour, au besoin, assistée d'un ou deux commis, servir la clientèle, sans que son mari y mette la main. »
Cahin Caha
Les souvenirs défilaient dans sa tête et plus les journées passaient et plus il avait peur d'oublier une anecdote ou un trait de caractère. Qui pourrait lui fournir des détails aujourd'hui ? Plus personne ne pouvait l'aider et les écrits avaient été détruits. Alors Alphonse continuait son travail d'écriture et alignait les phrases au rythme du souvenir et de l'inspiration.
« Albert avait un an de moins que mon père. Ils étaient très liés et ces cousins germains se considéraient comme frères.
Un jour de comice agricole à Preuilly, j'avais autour de 6 ou 7 ans mes parents, mon frère et moi avions été invités chez le cousin Albert.
Après un dîner copieux et bien arrosé, auquel j'avais fait honneur, le cousin nous emmena, nous les gosses, aux chevaux de bois.
Combien de tours fîmes-nous ? Autant qu'il nous plût. Puis, vers 11 heures du soir, Cibial, le premier garçon boucher, qui jouissait de la pleine confiance de son patron, vint nous prendre avec cheval et voiture, pour nous emmener.
Cibial ayant dîné avec nous avait, lui aussi, été fort bien traité. Aussi point ne fallait s'étonner si le fin cheval arabe qui nous remorquait, filant comme le vent, écornait de temps en temps les tas de cailloux, déposés sur l'accotement de la route.
J'étais assis entre le conducteur et mon père secoué, cahoté, la tête lourde, je sentais quelque chose qui me gênait sur l'estomac.
Quand, brusquement, tout mon dîner partit dans la blouse à Cibial ». A peine décrit cet épisode mouvementé, Alphonse pensa à son grand oncle Anatole.
« Le deuxième des garçons, de mes arrières grands parents, dût être Anatole, l'arrière grand oncle du docteur, héritier du nom et du prénom.
Je ne connus pas, ou à peine, ce grand oncle. Il habitait au haut du bourg de Chaumussay, une modeste maison près du cimetière.
J'étais encore tout bambin quand il mourût
Aimé, le cousin germain de mon père, fit de rares apparitions dans son pays natal. Aussi, ne l'ai-je vu que quelques rares fois à Chaumussay et une seule fois à Bossay, peu après son installation dans cette localité.
Il était de taille élevée, de bonne corpulence et, sans être pédant, il portait les marques de sa profession, parlant avec emphase et sur un ton doctoral.
(à suivre)