Chapitre 4-
Le temps des processions
Aimé avait un frère Oscar qu'il ne rencontrait que bien peu.
J'eus, étant enfant, l'occasion de bien le connaître quelques traits le dépeindront exactement.
Oscar n'assistait à la messe que les jours de fête seulement. Il se plaçait dans le narthex et sa chaise était près de la sainte table, donc presque à portée de la main avec les bancs des enfants de chur, parmi lesquels je figurais honorablement. Lorsqu'à la quête, le prêtre présentait devant lui sa bourse, Oscar inclinait profondément sa tête chauve striée d'une douzaine de cheveux plaqués et le salut tenait lieu d'offrande.
Je ne l'ai jamais vu mettre un sou dans la bourse.
Le dimanche des Rameaux, Oscar arrivait l'un des tous premiers à la messe. C'est qu'un évènement pour lui, considérable, l'invitait à ne jamais manquer cet office. Portant la croix de buis bénit, c'était lui qui avait l'insigne honneur de précéder la procession, qui se rendait au cimetière, à l'issu de la messe.
Sa blouse raide et bien luisante, ses sabots garnis soigneusement astiqués, la casquette à la main, sa longue moustache blonde à la gauloise tremblant d'émotion, se rengorgeant comme un paon, il traversait l'église, puis le bourg, avec la dignité d'un pape, jetait à la cantonade des regards triomphants, qu'accompagnait un sourire béat de suffisance.
C'était lui l'homme du jour. Aussi, fallait-il voir, après la bénédiction des sépultures, de quel regard circulaire il s'exposait à l'assistance, du haut du socle de la croix de pierre, sur laquelle il venait de fixer la croix de buis. »
Ne jamais dire jamais
Continuant son récit sur Oscar, Alphonse se remémora une anecdote douteuse. « Mon père l'employait comme journalier, soit pour labourer chaumes et vignes que mon grand père lui avait légués, soit pour débiter des noyers récemment achetés.
Aussi, le cousin Oscar venait de temps en temps à la maison. À l'époque où se passe la scène décrite ci-après mon père employait comme ouvrier sabotier Gustave qui, plus tard, devait épouser Noémie. Les journaliers étaient nourris, Oscar prenait ses repas à la table familiale.
Notre cousin professait, on ne sait pourquoi, une sainte horreur pour la viande de cheval et il disait, à qui voulait l'entendre, que personne jamais ne lui en ferait manger, tant il décelait le fumet particulier.
Et, un jour que précisément il travaillait à la maison et que ma mère disposait d'un superbe filet de cheval, Gustave suggéra l'idée de régaler Oscar, en le bernant sur la nature de la chair. Aussi, ayant fait mariner longuement cette viande dans du vin, assaisonné du traditionnel bouquet de plantes aromatiques, ma mère servit ce plat au déjeuner.
- « Quoi que c'est qu'ça ? », s'enquit Oscar, intrigué
- « C'est du cerf », répondit Gustave, qui tenait remarquablement son sérieux
-« Du cerf ? Et d'où qu'il vient ? »
-« Et mais, tu ne sais donc pas qu'il y a eu chasse à courre au bois des Courts ? C'est Pierre le boulanger de Barrou qui nous l'a apporté. Seulement il ne faut pas le publier, parce qu'on ne lui en donnerait plus ! »
-« Ah ! C'est du cerf ? Eh'ben, je vas y goûter ! »
Il y goûta tant et si bien qu'il revint plusieurs fois au plat et s'administra aussi un solide morceau de cheval pour lequel il manifestait une vraie répulsion.
Personne jamais ne le détrompa, mais ce déjeuner fit sensation dans les annales familiales.
A la veillée
Les anecdotes concernant Oscar sont nombreuses et il serait fastidieux de les narrer toutes. Je ne puis cependant résister au désir de conter la suivante, qui prend toute sa saveur, quand on a connu les personnages et l'ambiance.
Mes parents, de même que presque tous les habitants de la région, consommaient de l'huile de noix.
Pour l'obtenir, mon père, chaque année, achetait sa provision de noix, généralement plusieurs hectolitres.
Au cours des longues soirées d'hiver, assis devant l'âtre, un sac de noix à sa gauche, une planche épaisse posée en travers de ses genoux, un baquet entre ses jambes écartées, mon père, armé d'un marteau, cassait les noix.
Lorsque après plusieurs semaines, les fruits étaient tous brisés, l'on prenait ses dispositions pour procéder au « curage »
Curer les noix, c'était extraire l'amande de la coquille et effectuer le tri entre les noix saines et les noix brunes qui, mises à part, fournissaient une huile foncée employée seulement en friture.
Pour mener à bien cette opération, il était de tradition de réunir un soir d'hiver, après souper, les membres de la famille et quelques voisins qui, tous assis autour d'une longue table, sur laquelle mon père étalait un gros tas de noix brisées, décortiquaient les amandes en devinant des faits locaux.
Ce travail durait généralement jusque vers les minuit et se terminait par un réveillon bien arrosé ; après quoi, les chanteurs étaient invités à débiter leurs répertoires.
Gustave, le farceur de la maison, s'arrangeait toujours pour placer l'un en face de l'autre, Julien Petit, l'un de nos voisins, ainsi appelé sans doute parce qu'il était grand et fort, et Oscar, à côté duquel Gustave prenait place.
L'heure des chants venus Julien et Oscar étaient, par Gustave invités à distraire la société.
Très adroitement, le pantin Gustave, amusait Julien à commencer.
D'une voix de stentor, celui-ci entamait le traditionnel :
« Virginie, les larmes aux yeux
Je viens t'y faire mes adieux »
Souvenir de la guerre du Mexique
« En a-t-il une voix, ce Julien ! » disait à haute voix Gustave dans l'intention de flatter le chanteur.
Se rengorgeant et comble d'aise, celui-ci hurlait de plus belle, en devenait cramoisi ce, pendant que sa volumineuse pomme d'adam tressautait dans son col dégrafé.
Poussant du coude Oscar, son voisin, Gustave lui susurrait à l'oreille : « Il ne connaît seulement pas les paroles ! Ce n'est pas comme cela que tu chantes, toi Oscar ? ».
Bondissant de sa chaise, ce dernier apostrophait le chanteur : « Tu ferais mieux de te 'taiser' ! Tu ne sais seulement pas ce que tu dis. D'abord ce n'est pas comme ça ! »
Entonnant à son tour : « Le Virginie », Oscar, pour surpasser Julien, s'époumonait à faire trembler les vitres, alors qu'en face de lui son antagoniste, suffoquant d'indignation, lui décochait toutes les invectives que sa faible imagination lui suggérait.
Les deux chanteurs rivaux mettaient l'assistance en joie, pendant que Gustave, attisant adroitement la querelle, les faisait s'affronter l'un l'autre, tels deux coqs de combat.
Une copieuse rasade, opportunément servie par mon père, calmait les deux adversaires et apaisait leurs clameurs.
Chaque hiver ramenait la même scène qui, pour se dérouler d'une manière invariable, passait inaperçue d'Oscar et de Julien, tant l'un et l'autre était féru de sa supériorité vocale. »
(à suivre)